Projet archéologique : Teotihuacan, Mexique

  Aujourd'hui, les touristes qui visitent Teotihuacán s'émerveillent devant ce monde englouti par le temps, ils peuvent prendre d'innombrables photographies, et les partager immédiatement sur les réseaux sociaux. Cependant, dans le passé, il était beaucoup plus difficile de capturer et de reproduire ces images. Les lithographies, peintures et photographies de la fin du XIXᵉ siècle témoignent à quel point le site à San Juan Teotihuacan a subi des changements dans la première moitié du XXᵉ siècle. La plupart des images publiées dans cet article sont consultables à la médiathèque de l'INAH.

Par ailleurs, les images stéréographiques de la Keystone View Company sont très précieuses car leur légende montre la construction de cette histoire. Ainsi, en trente ans, ce n’est pas seulement une cité qui a émergé du néant, c’est également l’histoire d’un peuple imaginaire qui a entièrement été réécrite pour des raisons techniques, budgétaires et idéologiques.

Aussi, en 1909, alors que le site était encore en travaux, l’histoire de la cité de Teotihuacán était déjà écrite. Nous apprenons, entres autres, que la cité fut l’œuvre des Toltèques, « le sommet large et plat (des pyramides) était autrefois couronné d'une représentation du soleil recouverte d'or. Il (le monument) est fait de pierre volcanique déposée sur un support composé principalement d'humus. Aucun mortier n'a été utilisé, mais il (le monument) était recouvert de ciment, dont il reste encore des traces. Peut-être que ces hommes si tranquillement engagés dans leur travail agricole sont les descendants de ces premiers Indiens qui ont offert des sacrifices humains dans cet endroit même. ».

 

L'année 1930, l’on va rabattre de ses prétentions et faire concorde entre le récit et l’architecture des pyramides dont la construction est tout juste achevée. Les Toltèques disparaissent au profit de mystérieux bâtisseurs. On ne saurait dater l’édification de ce complexe architecturale, l’on ne peut que s'émerveiller devant la majesté de la création qui est incontestablement l’œuvre d’une civilisation hautement avancée ; l’Atlantide n’est pas loin,..

 

En fait et dans la réalité, avant le delirium « néo-aztéque », le site était occupé durant la saison des pluies marquée par des inondations assez violentes. Les populations locales venaient s'abriter sur ces tertres artificiels qui faisaient office d'arche.

Les premiers travaux archéologiques commencent sur le site au début du XXᵉ siècle sous la direction de Leopoldo Batres en vue des célébrations de l'anniversaire de l'indépendance du Mexique, à l'occasion desquelles le site devait être présenté comme « la capitale archéologique du nouveau monde ».

De caractère impérieux et farouchement nationaliste, Leopoldo Batres (Mexico, 1852-1926) né dans une famille marchande aisée tirant ses revenus de la fonction publique, son grand-père Antonio Batres possède un cabinet d’antiquités, son père, Salvador Batres Arturo (1876), un militaire, a étudié chez les Jésuites en France, sa mère, Francisca Huerta (1879), femme de culture, accueille dans son salon tous les beaux esprits de la société mexicaine, écrivains, artistes et savants. C’est au musée du Trocadéro à Paris que le jeune Leopoldo Batres suivra de 1881 à 1883 une formation anthropologique au côté de Ernest Théodore Hamy (Fondateur du musée d'ethnographie du Trocadéro et cofondateur de la galerie de Paléontologie et d'Anatomie comparée), Jean Louis Armand de Quatrefages de Bréau (Auteur de Introduction à l’étude des races humaines (1887) et Les Émules de Darwin (1892)), et Paul Topinard (Directeur adjoint du laboratoire d’anthropologie de l’École pratique des hautes études et secrétaire général de la Société d'anthropologie de Paris) ; Batres nouera de solides liens d'amitié avec Désiré Charnay, le célèbre explorateur et archéologue français engagé à la rénovation du complexe de Chichén Itzá, située dans la péninsule du Yucatán, au Mexique

De retour à la mère patrie, Leopoldo Batres est nommé archéologue officiel du Porfiriat (1876-1911). Le président Porfirio Diaz est convaincu que la légitimité du caractère organique de l'Etat ne peut être établie que par la construction d'une histoire glorieuse qui s'impose non seulement par sa taille et le prestige de ses vestiges, mais aussi par la sacralité qui s'en dégage. A cet effet, c'est la première fois qu'un budget important est alloué à la recherche et à la restauration d'un site ; l'Etat affirme ainsi sa volonté de prioriser l'enseignement de l'histoire, considérant qu'elle forge l'identité nationale.

Ainsi, au Mexique, les motifs anciens ont été mélangés aux tendances mondiales de l'Art nouveau puis de l'Art déco pour créer le « néo-aztèque ». D’autres États d'Amérique latine emboîteront le pas du Mexique et proposeront des créations similaires, comme le site de Tiahuanaco en Bolivie et son horrifiante architecture « néo-andine ».

Ses premières missions archéologiques le conduisent à Monte Albán y Mitla en Oaxaca de 1901 à 1902, la Quemada, Zac. en 1903, Xochicalco, Mor. la Isla de los Sacrificios, Ver.,

Ayant fait ses preuves, en 1905, Batres est donc chargé par le président Porfirio Díaz de réhabiliter un site à San Juan Teotihuacan afin qu'il puisse être exposé comme le triomphe du Porfiriato. Son fils, Salvador, l’accompagnera sur le site comme assistant et directeur de chantier. Ce projet comprenait la découverte des fresques murales du Temple de l'Agriculture (Batres 1993 [1919] ), la reconstitution de la Pyramide du Soleil, la construction de voies ferrées pour l'enlèvement des gravats, le transport des matériaux et pour le routage des touristes. Malgré un réel effort de développement, notamment avec la création du premier musée mexicain in situ, la reconstruction de la Pyramide du Soleil reste très critiquable. Batres aurait fait disparaître des agriculteurs vivant à proximité alors qu'ils s'opposaient aux travaux d'excavation. Il s'appropria des terres sur le site, y fit édifier un hôtel et une fabrique d'authentiques faux. Surtout, il eut recours à la dynamite pour creuser des galeries souterraines mettant en péril l'ensemble du site.

 

D’ailleurs, cet article aurait très bien pu s’intituler « Leopoldo le Boucher » tant l’homme a fait preuve d’un manque cruel de diligence particulièrement requise dans cet art.

La confection de faux, les disparitions inexpliquées de paysans locaux, les multiples plaintes d'expropriation déposées et le battage médiatique qui les accompagne, vont contraindre Batres à préserver son intégrité physique et morale. A cet effet, il publiera en 1910 un ouvrage intitulé Antigüedades Mejicanas Falsificadas : Falsificacion y Falsificadores. Il y dévoile les coulisses de l’industrie du faux, la falsification est présentée comme monnaie courante bien avant son implication dans le projet. Et pour faire taire les contestataires, Batres fait photographier des faussaires d'artefacts mexicains sur place, devant leurs fours et leurs moules, puis diffuse les images photographiques dans son livre ; nous reconnaitrons les frères Barrios, les contrefacteurs d'artefacts mexicains connus pour cette pratique, dès la fin du XIXᵉ siècle.

 

L’année suivante, Batres est écarté du projet et rejoint l’Europe ; il réintègrera plus ou moins ses fonctions sous la présidence de Venustiano Carranza (1915-1920).

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