Projet archéologique : Chichén Itzá, Mexique

    Aujourd'hui, la grande pyramide de Chichén Itzá connue antérieurement sous le nom de El Castillo  ( Le Château ) est recouverte d'une gaine lisse et ininterrompue de blocs de calcaire finement taillé à bords carrés et bien définis, également utilisé à la confection des quatres escaliers et des balustrades. C'est grâce à ce placage de pierres aux arêtes vives et à la rectitude de flèche de la balustrade que le coin de la pyramide est capable de projeter ses sept triangles de lumière et d'ombres sur le côté de l'escalier pendant les équinoxes de printemps et d'automne. Les guides touristiques et les livres populaires s'accordent pour dire que c'est l'ingéniosité des Mayas qui explique cet incroyable exploit astroarchitectural.

 

Cependant, la réalité est tout autre, elle est le résultat de la « rénovation » que la pyramide a subie dans la première moitié du XXᵉ siècle.

Fort de son triomphe à San Juan Teotihuacán, l’État mexicain sous le gouvernement du général Alvaro Obregón, prend la décision sur la base des conseils d'Alfred Kidder du Carnegie Institute of Washington, de se lancer dans un nouveau projet « pharaonique » dans lequel le gouvernement mexicain avec les fonds fournis par l’Institut Carnegie, devait construire une attraction touristique de premier plan et également sanctuariser l'enseignement de l'histoire, considérant qu'elle forge l'identité nationale et légitime le caractère organique de l'Etat dans la continuité de la ligne directrice tracée par l’ancien président Porfirio Diaz ( Voyez le Projet archéologique : Teotihuacán, Mexique ).

En effet, un document gouvernemental des États-Unis d'Amérique rédigé en 1921 dit :

- « Le projet Chichen Itza diffère de la plupart des entreprises archéologiques du Nouveau Monde en ce que, depuis sa création, le Dr Morley s'est efforcé d'atteindre trois objectifs définis au-delà de l'habituel de récupération de spécimens et d'informations. Ceux-ci peuvent être énoncés comme suit : mener le travail d'une manière calculée pour créer un sentiment de confiance de la part du gouvernement mexicain et du peuple dans la bonne foi des agences scientifiques étrangères ; gérer le site de manière à en faire un témoignage permanent des réalisations artistiques des Mayas ; et développer Chichen Itza comme point focal pour les recherches corrélées. ». [The Chichen Itza project has differed from most archeological undertakings in the New World in that from its inception Dr. Morley has striven for three definite objectives over and above the usual one of recovering specimens and information. These may be stated as follows: to conduct the work in a manner calculated to create a feeling of confidence by the Mexican government and people in the good faith of foreign scientific agencies; to handle the site in such a way as to make it a permanent record of the artistic achievement of the Maya; and to develop Chichen Itza as a focal point for correlated researches ]. (Alfred V. Kidder, « Division of Historical Research. The Chichen Itza Project », Carnegie Institution of Washington Yearbook, núm. 29, Washington, D.C., Carnegie Institution of Washington, 1930, p. 96.)

En outre, il est écrit :

- « Si Chichén Itzá peut rester à la fois intéressant et beau, il deviendra sans aucun doute un haut lieu du voyage et, accessoirement, un atout des plus précieux pour l'archéologie qui, comme toute autre science, a besoin de ses « vitrines ». Ses objectifs les plus obscurs ne sont pas, au début, censés être saisis par le public ; mais l'intérêt public doit être éveillé et la compréhension publique éventuelle doit être atteinte si l'archéologie doit aller de l'avant ; car du public vient, en dernière analyse, tout appui à l'effort scientifique. ». [If Chichén Itzá can be kept both interesting and beautiful, it will without question become a Mecca of travel, and, incidentally, a most valuable asset for archeology which, like every other science, needs its “show-windows”. Its more recondite aims the public cannot, in the beginning, be expected to grasp; but public interest must be aroused and eventual public understanding must be achieved if archeology is to go forward; for from the public comes, in the last analysis, all support for scientific endeavor]. (Alfred V. Kidder, op. cit., p. 99.)

Avant tout, il faut noter que le site connaît une première mise en scène en 1840 pour illustrer Incident of travels in Central America, le récit des voyages du diplomate John Lloyd Stephens avec le concours de l'architecte Frederick Catherwood.

A cet effet, John Lloyd Stephens écrira :

- « Comme à Copan, c'est à moi qu'il incombait de préparer les différents objets que devait copier Mr. Catherwood. Nombre de pierres devaient être grattées et nettoyées au préalable, et comme notre intention était de parvenir à la plus grande précision possible dans l'exécution des dessins, nous dûmes dresser à plusieurs reprises des échafaudages pour installer la chambre claire (…) Cette élévation était autrefois recouverte de pierre, qui a été renversée par la croissance des arbres, et sa forme est à peine discernable. ». [As at Copan, it was mj business to prepare the different objects for Mr. Catherwood to draw. Many of the stones had to be scrubbed and cleaned; and as it was onr object to have the utmost possible accuracy in the drawings, in many places scaffolds were to be erected on which to set up the camera lucida. (...). This elevation was formerly &ced with stone, which has been thrown down by the growth of trees, ajid its form is hardly distinguishable.] (John Lloyd Stephens, Incidents of Travel in Central America, Chiapas and Yucatan, New York, Harper & Row, 1841, 2 vol.2. Chez Arthur Hall, Virtue & Co, 496 p.)

Malheureusement, les premières photos de Chichén Itzá, les daguerréotypes de Frederick Catherwood, disparaîtront dans un incendie à New York. Peu de gens ont pu voir ces images, mais elles connaîtront une nouvelle vie à travers les 120 dessins des photos de Catherwood qui vont illustrer le texte de son compagnon de voyage, John Lloyd Stephens. Cette première tentative de reconstruction faite de pierres recyclées fut gravement compromise à cause des fortes précipitations que connait la région pendant la saison des pluies.

Malgré tout, l'architecte et dessinateur Frederick Catherwood posera les fondements de l'archéologie maya moderne par son remarquable travail d’illustration qui dépassait en détail et en précision les informations disponibles à l'époque sur les cités mésoaméricaines. Ainsi, il écrivait sur Chichén Itzá, la ville des sorciers de l'eau :

- « Nous étions là, devant les restes d'un peuple singulier, poli et éduqué, qui avait traversé toutes les étapes caractéristiques de l'ascension et de la chute des nations : ils ont atteint leur âge d'or, puis ont décliné et ont disparu, complètement ignorés. Les liens qui les unissaient à la famille humaine ont été coupés et perdus, et c'est la seule chose qui reste de leur passage sur cette terre. Dans l'histoire du monde, rien ne m'avait plus impressionné que le spectacle de cette ville, dans une grande et belle époque, et maintenant détruite, désolée et perdue ; découvert par hasard, couvert de broussailles, et sans même un nom pour le distinguer. ».

En 1894, Edward Herbert Thompson alors inspiré par les voyages de John Lloyd Stephens acquiert l'Hacienda de Chichén-Itzá, située non loin du site encore peu exploré. Là, il travaille pendant 30 ans, notamment sur le Cenote Sacré. L’étude des manuscrits des évangélisateurs espagnols le persuadent que le fond du cenote contiendrait les ornements précieux des sacrifiés. Ensemble, avec ami grec Nicolás, un pêcheur d'éponges de mer, ils vont trouver dans le Cenote Sacré et malgré une visibilité nulle, des squelettes humains, des disques d'or et de jade. Grâce à cet exploit, Edward Thompson deviendra le premier plongeur de cenote en charge d'une exploration archéologique ; au cours de ces travaux, de nombreux objets seront retrouvés et envoyés au Musée d'archéologie et d'ethnologie affilié à l'Université de Harvard (Peabody Museum of Archaeology and Ethnology) bien que, plus tard, et en raison de l'intervention du gouvernement mexicain, les objets seront restitués.

Ensuite, Alfred P. Maudslay précèdera de peu le Français Claude Joseph Désiré Charnay. Les deux hommes travaillèrent ensemble à la technique du moulage en papier mâché qui sera employée sur le site. A cet effet, plus de quatre cents moules de sculptures mayas seront confiés au British Museum, à Londres. Alfred P. Maudslay est surtout connu pour sa traduction de Historia verdadera de la conquista de la Nueva España ( Histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne ) qui est un manuscrit du XVIᵉ siècle attribué à Bernal Díaz del Castillo.

 

C’est en 1922, que le véritable travail de reconstruction débuta. De nouvelles pierres furent taillées pour le placage de la pyramide, et le talud-tablero, un des marqueurs de l'influence de Teotihuacan (le néo-aztéque), fut construit de bas en haut du tertre.

Miguel Angel Fernández était responsable de la première étape des travaux de restauration entrepris sur la Pyramide de Kukulcán (El Castillo) et sur le grand terrain de jeu de balle. C'était un praticien patient et méthodique, n'utilisant que les pierres d'origine locale pour servir à l’aménagement du site. Il travailla sur le projet de 1922 à 1923, mais quittera les lieux après un désaccord formel avec le gouvernement mexicain quant à la suite à donner à la « Meca turística ». En fait, les autorités mexicaines lui avaient présenté des planches qui devaient servir d’assise à la « reconstruction » de certaines des ruines, non pas sur la base d’une concorde archéologique, mais plutôt avec l’objectif de faire une attraction touristique époustouflante. Avant son départ, cependant, il supervisa le début de la reconstruction de l'escalier et la récupération des deux faces de la pyramide avec du calcaire nouvellement taillé.

Les balustrades d'escalier qui avaient été retirées et réutilisées comme matériau de construction, ont été reconstruites à partir de zéro tout comme le temple au sommet de la pyramide. Petit à petit, la nouvelle pyramide a commencé à prendre forme comme en témoignent les photographies jointes à cet article.

 

 

La même année, l'archéologue Sylvanus Morley (1883-1948) est appelé à prendre la tête du projet Chichén Itzá, grâce au mécénat du Carnegie Institute of Washington et au soutien de la National Geographic Society.

Par ailleurs, en plus de promouvoir le tourisme en encourageant la construction du chemin de fer qui relierait Mérida au site de Chichén Itzá, dans les déchets liés au chantier, Morley trouvera miraculeusement quantité de glyphes mayas dont il fut l'un des premiers à parvenir à décoder ces caractères d'écriture peu lisibles ou inconnus. D’ailleurs, déchiffrer les pictogrammes mayas devint la spécialité de Morley dans les 18 années qui suivirent sa mission à Chichén Itzá. Le résultat de son travail intense s'est matérialisé dans de nombreux ouvrages, parmi lesquels se distingue le livre The Ancient Maya (1946) dans lequel il développe des théories qui seront l’assise des mayanistes.

C’est Morley qui donne l'impulsion définitive au projet avec la « découverte » de 400 colonnes (le groupe actuel des Mille-Colonnes) et l'identification du bâtiment El Caracol comme observatoire astronomique sous les conseils éclairés de l’archéologue Tatiana Proskouriakoff qui réalisera d'étonnantes reconstitutions picturales de la cité de Chichén Itzá, - et en particulier celles d'El Caracol. Egalement pionnière de l'iconographie et de l'épigraphie maya, son domaine d’expertise incluait l'art, l'architecture et l'épigraphie mayas. Sans aucun doute, cette grande artiste a changé la perception et les méthodologies des mayanistes offrant une vision plus large de l'ancien monde mésoaméricain.

La pyramide de Kukulcán (El Castillo) et l'Observatoire astronomique (El Caracol) ne sont pas les seules ruines de Chichén Itzá à avoir été construites, le plus grand terrain de jeu de balle de la Méso-Amérique sensé être le centre d’un sport rituel,  le Tlatchi,  et le Temple des Guerriers, ont également été édifiés.

Un plan a été élaboré sur la façon dont le bâtiment sportif serait reconstruit basé sur une invention complète, imaginée par Alfred Percival Maudslay, l’auteur des plans de la construction de la structure de la Pyramide. Le même processus sera appliqué au Temple des Guerriers. A cet effet, avant que des travaux ne soient effectués sur cette structure qui est maintenant connue sous le nom de TEMP. GUERREROS-CHICHE, il n’y avait qu’un simple tertre de 50 pieds de haut couvert de végétation. Le temple devait alors reposer sur une fondation pyramidale de 37 pieds de haut et 136 pieds carrés à la base.

En 1928, après quatre années de « fouilles » menées par l'équipe d'excavation du Carnegie Institute, le Temple des Guerriers est révélé dans toute sa splendeur. Son nom tire son origine des nombreux personnages, pour la plupart armés, représentés sur les pilastres, les colonnes et les tabourets. La pyramide est décorée de frises richement sculptées d'animaux, d'oiseaux et de guerriers. Vous noterez (voir les photographies jointes à l’article) sur le côté droit de la structure un escalier raide de 36 marches d'une largeur de 34 pieds s'élevant jusqu'à la plate-forme du temple. De chaque côté de l'escalier se trouvent deux sculptures en pierre de quatre pieds de large, sculptées pour représenter des serpents à plumes. Ces reliefs ont été peints et ceux qui ont le mieux conservé leur couleur d'origine ont été retrouvés dans le Temple de Chac Mool, une sous-structure de cet édifice.

À retenir, la restauration des Plates-formes de Vénus et des Aigles ne reprendra qu’en partie le projet d’Augustus et Alice Dixon Le Plongeon, publié dans Queen Móo and the Egyptian Sphinx, à New York, en 1896 et dans Origins of the Egyptians, en 1913. Et pourtant, le Mexique était redevable vis-à-vis du couple en tant que premiers explorateurs de Chichén Itzá, rappelant que Augustus et Alice Dixon Le Plongeon passeront onze années à vivre et à travailler dans le sud du Mexique et en Amérique centrale.

Malgré leurs grandes contributions, notamment avec la découverte du « puissant guerrier », Chac Mool, le nouveau gouvernement Mexicain écartera les archéologues du projet. Ce rejet trouve peut-être son origine dans le fait que les Le Plongeons ont développé plusieurs théories spéculatives sur les origines des Mayas, qui sont aujourd'hui complètement écartées par l'archéologie moderne. Selon les théories d'August Le Plongeon, la civilisation maya avait été en communication directe avec le continent perdu de l'Atlantide et avec l'Egypte ancienne et,.. Jésus lui-même aurait été influencé par les Mayas ! En fait et dans la réalité, les Le Plongeons étaient mormons ; ceci explique cela.

En 1973 l'avocat de Mexico, Luis Enrique Arochi Flores relie la pyramide à l'abstraction divinisée Kukulkán dans un petit livre intitulé La Pirámide de Kukulcán, su simbolismo solar.

Peu de temps après qu'Arochi ait visité Chichén Itzá pour photographier le phénomène de projection des sept triangles de lumière et d'ombres sur le côté de l'escalier le jour d’ équinoxe, le guide touristique et auto-promoteur Adalberto Rivera commença à vanter le phénomène aux touristes. En 1976, le gouvernement du Yucatan prend note du nouvel intérêt suscité par El Castillo et promeut l'idée solaire afin d'augmenter la fréquentation. Riviera utilise ses relations avec l'INAH pour être nommé « interprète officiel » du phénomène, s'aliénant ainsi certains des fonctionnaires de l'État Mexicain.

La « Mecque touristique » prévue par Kidder fonctionne encore aujourd’hui et attire plus de quatre-vingt-dix mille visiteurs chaque année pendant les équinoxes et plus d'un million de touristes chaque année.